L’arrêté du 6 janvier 1962 qui fixe « la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins » ou par certaines autres professions, réserve aux médecins la réalisation de « toute mobilisation forcée des articulations et toute réduction de déplacement osseux, ainsi que toutes manipulations vertébrales, et, d'une façon générale, tous les traitements dits d'ostéopathie, de spondylothérapie (ou vertébrothérapie) et de chiropraxie. »
La manipulation est, en France, considérée comme un mouvement forcé avec une impulsion qui « porte brusquement les éléments articulaires au-delà de leur jeu physiologique habituel, sans dépasser la limite qu'impose à leur mouvement l’anatomie1 ».
Dès lors que l’adjectif « forcé » apparaît indissociable dans les définitions médicales du nom commun « manipulation », l’idée selon laquelle existerait une manipulation « non-forcée » ne paraît pas, d’un point de vue juridique, envisageable2. Il convient dès lors de comprendre que la locution « manipulation » correspond bien à geste réalisé avec un vecteur de force.
Trois professions sont autorisées à réaliser des manipulations en droit français : les médecins, les ostéopathes et les chiropracteurs, chacune d’entre elles en vertu de ses règles professionnelles respectives.
Ainsi, le décret n°2007-435 du 25 mars 2007 relatif aux actes et aux conditions d'exercice de l’ostéopathie autorise les ostéopathes à réaliser « des actes de manipulations et mobilisations non instrumentales, directes et indirectes, non forcées ».
Toutefois, les manipulations du crâne, de la face et du rachis chez le nourrisson de moins de six mois, ainsi que les manipulations du rachis cervical doivent faire au préalable l’objet d’un « diagnostic établi par un médecin attestant l'absence de contre-indication médicale à l’ostéopathie ».
Les mobilisations, définies comme le fait de « mobiliser passivement, lentement, plusieurs fois de suite une articulation ou un segment vertébral depuis une position donnée jusqu’à sa mise en tension, c’est-à-dire jusqu’à la résistance rencontrée en fin de course du mouvement3 », ou encore comme « un mouvement passif parfois répétitif, de vitesse et d’amplitude variables » ne sont pas concernées par cette obligation de telle sorte que les ostéopathes peuvent librement soigner les nourrissons de moins 6 mois et le rachis cervical de leurs patients, à la condition de ne pas réaliser de manipulations3.
Les actes autorisés aux masseurs-kinésithérapeutes sont déterminés aux articles R. 4321-1 et suivants du code de la santé publique, et pour ce qui concerne les manipulations, à l’article R. 4321-7, qui précise que « pour la mise en œuvre des traitements mentionnés à l'article R. 4321-5, le masseur-kinésithérapeute est habilité à utiliser les techniques et à réaliser les actes suivants […] 3° Mobilisation manuelle de toutes articulations, à l'exclusion des manœuvres de force, notamment des manipulations vertébrales et des réductions de déplacement osseux ; »
Plus largement, aucun des textes législatifs ou réglementaires relatifs à la profession de masseur-kinésithérapeute n’habilite cette profession à réaliser des manipulations articulaires.
Un masseur-kinésithérapeute réalisant de tels actes se place ainsi en situation d’exercice illégal des professions de médecins, d’ostéopathe et de chiropracteur.
Il découle de ce qui précède que bénéficier des compétences cumulées d’ostéopathe et de masseur-kinésithérapeute ne confère pas aux professionnels concernés de possibilités élargies quant à la réalisation des manipulations.
1 : Voir notamment à ce sujet « Douleurs d'origine vertébrale. Comprendre, diagnostiquer et traiter » Robert Maigne, Elsevier-Masson. 2006, p. 130-134 et Philippe Vautravers, Marie-Ève Isner-Horobeti, Jean-Yves Maigne, Manipulations vertébrales – ostéopathie. Évidences/ignorances, Revue du Rhumatisme, Volume 76, Issue 5, 2009, Pages 405-409, ISSN 1169-8330
2 : Selon Pierre-Luc L’Hermite, « Le concept de manipulation non forcée pourrait être considéré comme un non-sens juridique. » dans « Revue droit et santé », n°95, mai 2020, page 390, ISSN 1769-1036
3 : Arrêté du 12 décembre 2014 relatif à la formation en ostéopathie.
4 : Voir Corre, F. L., & Rageot, E. (2011). Atlas pratique de médecine manuelle ostéopathique (3ème ed.). Elsevier Health Sciences
5 : Voir Joël Moret-Bailly, dans RDSS mars-avril 2009, page 299 : « On doit admettre que l'ostéopathe est autorisé à pratiquer des mobilisations « du crâne, de la face et du rachis chez le nourrisson de moins de six mois » ainsi que des mobilisations « du rachis cervical », mais que les manipulations portant sur les mêmes patients nécessitent un « diagnostic établi par un médecin attestant l'absence de contre-indication médicale à l’ostéopathie »
Philippe Sterlingot
Ostéopathe, Président du SFDO, Master en droit de la santé et éthique, Faculté de droit et sciences politiques Rennes I